vendredi 6 décembre 2013

pratique philosophique


Pratique philosophique : Elle commence par une prise de distance par rapport au discours entendu ou lu ; de quoi parle-t-on ? dans quel but ? donner une information ou provoquer une réaction ? est-il ainsi principalement d’ordre cognitif, ou d’ordre idéologique ? Sur quelle toile de fond conceptuel s’inscrit-il ? ceci afin de ne pas être victime d’une confusion possible entre ce qui est manifestement formulé et ce qui est réellement dit. Ensuite, que puis-je, moi, en dire de spécifique ? que puis-je en penser « philosophiquement » ?
Ceci dit, il n’y a pas de questions proprement philosophique, mais une manière philosophique d’aborder toute question ; et cette manière consiste,  en son début,  en ce que je viens d’expliquer, qui avec l’usage, finit par être comme un réflexe. S’il n’y a pas d’objet propre à la philosophie, il s’en suit que la philosophie ne produit pas un savoir, mais une réflexion sur les divers discours produisant un savoir, et plus généralement sur tout discours. Que disent-ils ? à quelles conditions d’intelligibilité répondent-ils ? Quelles cohérences entre les divers discours ? Etc…
Quant aux questions soi-disant fondamentales, qui pour certains sont les questions essentiellement philosophiques ( le sens de la vie par exemple…) elles sont abordées comme toute autre question : que puis-je en dire ? à quelles conditions d’intelligibilité répondent-elle ? Leur caractère de question fondamentale est-il réel ou un simple effet de la mondanité des discours quotidiens et du conformisme social ? Et ainsi, ce que j’appelle « spiritualité » consiste-t-il lui aussi dans la préoccupation de ces questions dites fondamentales, mais qui, la plupart du temps, n’empêchent personne de dormir tranquillement.
Le niveau du politique dans son rapport avec la pratique philosophique est double : un premier niveau,  qui pour moi n’est pas le plus important, est la mise en œuvre d’une pratique sociale en conformité avec les idées que je puis défendre ; ainsi de la participation à telle manifestation, ou à tel mouvement  ou activité politique. Il y a par contre un autre niveau qui réside dans l’exercice même de la philosophie, qui, en tant que telle, peut être considérée comme une activité politique ( Althusser décrivait la philosophie comme « la lutte des classes dans la théorie ») ; cela s’appuie sur le fait que les idées sont une force sociale qui ne peut être considérée comme neutre, et dont l’enjeu, avant toute autre conséquence au niveau du comportement du philosophe, est déjà un enjeu politique.
 Le point de clivage réside sans doute dans la différence entre une conviction (une croyance), et une connaissance. La première reste principalement subjective et est difficilement totalement communicable ; sa présence repose sur des motivations qui peuvent aller jusqu’à la rendre irréductible à toute contestation ; la seconde est le résultat d’une démarche potentiellement collective et communicable, donc toujours relative et évolutive. Il convient de préciser que concrètement toute prise de position est bien souvent à la fois conviction et connaissance, mais principalement l’une ou l’autre, et là est la différence.
Ma formation intellectuelle?

Elle est d’abord très classique, latin, grec, hébreu, dans des institutions dirigées par l’Eglise catholique, jusqu’à une formation théologique universitaire. Puis, dans le cadre du mouvement étudiant  (UNEF), à l’occasion du cursus habituel des études universitaires de philosophie qui ont suivies, découverte du marxisme, de sa méthode dialectique, précisée par les réflexions chinoises traditionnelles et contemporaines sur le principe de contradiction inhérent à tout phénomène : le « un se divise en deux » ; la contradiction principale et la (les) contradictions secondaires ; l’aspect principal de la contradiction principale et ses aspects secondaires et de même pour les contradictions secondaires, leur aspect principal et leurs aspects secondaires. Cela reste pour moi une méthode que je m’efforce d’appliquer ; et que pour parfaire cette formation intellectuelle,  je me suis efforcé de mettre en pratique durant presque 40 ans à l’occasion de la gestion d’un complexe restaurant-librairie. Tant il est facile de s’imaginer à tort que l’on a pu traiter un problème théoriquement, alors que la sanction est rapide si l’on ne parvient pas à traiter un problème concrètement. De cette mise en pratique, qu’en retire-t-on ? D’abord une connaissance relativement précise du comportement des individus, seuls et en groupe, face au savoir (les livres), mais aussi au plaisir (la nourriture, l’alcool, la convivialité) ; sur un plan théorique, la nécessité d’intégrer à l’analyse de tout phénomène, et à la gestion des contradictions mises à jour, la temporalité de tout processus, sa relativité évolutive : demain, peu et prou, rien ne sera  comme aujourd’hui. Il faut penser et agir en tenant compte du temps.

10 commentaires:

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  2. merci Bernard de cette clarification. le philosophe questionne la validité du discours en terme de méthode et d'objectivation du propos : comment le discours dit ce qu'il dit, pour quelle intention ou but et en s'appuyant sur quoi ( conviction ou connaissance), si j t'ai bien compris.Le philosophe ne produit que très peu de connaissance autre que des concepts dont celui de philosophie, ce que tu viens de faire. Tu fournis quelques outils pour le faire dont le principe de contradiction ou cohérence.Est-ce que ces outils relèvent de la philosophie ou d'une science, celle de la sémiotique ?

    Traiter un problème concrètement relève-t'il encore de la philosophie ? Pour moi non. Le politique essaie de résoudre des problèmes qui n'ont en général pas de solution objectives. La politique s'appuie sur des espérances, des convictions et des valeurs qui restent dans l'ordre du subjectif. Cette politique repose sur une pratique spirituelle laïque ou confessionnelle c'est à dire d'élaboration du sens et des valeurs partageables. Il n'est plus question de simples connaissances mais de compétence qui intègrent connaissances, convictions et surtout expérience de vie. Pour moi une philosophie politique questionne une objectivation possible de ces pratiques, si je m'en tient à ta définition initiale.

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    1. 1)"Est-ce que ces outils relèvent de la philosophie ou d'une science, celle de la sémiotique ?" Les outils dont dispose le philosophe sont ceux que les discours à vocation scientifique portant précisément sur les discours lui fournissent ainsi que les règles de fonctionnement propres à chaque discipline. La philosophie est ainsi plus un savoir-faire, qu'un savoir, un savoir-faire utilisant des savoirs élaborés ailleurs.

      2)"Traiter un problème concrètement relève-t'il encore de la philosophie "n'est pas ce que j'ai dit, mais que la façon de traiter un problème concrètement est significatif de sa manière de penser, et peut de la sorte constituer une excellente thérapeutique par rapport à une formation intellectuelle trop théorique.

      3)"La politique s'appuie sur des espérances, des convictions et des valeurs qui restent dans l'ordre du subjectif. Cette politique repose sur une pratique spirituelle laïque ou confessionnelle c'est à dire d'élaboration du sens et des valeurs partageables"
      C'est précisément à ce niveau que la pratique philosophique est en tant que telle une intervention politique dans le champ idéologique du moment.

      4) "Pour moi une philosophie politique questionne une objectivation possible de ces pratiques," La formulation me convient.

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  3. Merci Bernard pour cette introduction, qui mérite plusieurs articles.

    Ton idée de séparer la méthode (pratique philosophique) , de l'objet (les questions) m'interpelle. Tu nous encourages à utiliser la méthode dans des domaines variés.

    Chiche, je vais tenter de l'utiliser dans un cadre technique: les techniques informatiques. En effet les discours techniques ne sont pas entièrement neutres. Les contributeurs sont de bonne volonté et de bonne foi, mais des modes ou des craintes sont souvent sous jacentes.

    Mais pourquoi donc, écris-je ceci ?

    Philippe

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    1. Tu as eu une excellente idée de faire ton commentaire et tu en as une autre de projeter d'utiliser ma méthode dans le cadre technique que tu connais. Je suis curieux d'en connaître les résultats.

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  4. Objet du commentaire.

    Je voudrais ici, tenter d’utiliser l’approche philosophique de Bernard, pour analyser comment une décision technique est prise. Mon propos sera de montrer que, même dans un cadre où l’on peut penser que le réalisme domine, des considérations subjectives vont intervenir. Pour la clarté du propos, je vais schématiser à l’extrême les aspects techniques, qu’il faudrait de fait nuancer et compléter.

    Le cas.

    Imaginez que vous deviez construire le site web de la Sncf. L’internaute indique sa gare de départ et sa gare d’arrivée, le système recherche les trains disponibles et affiche une proposition de places. Vous devez savoir que le traitement n’est pas effectué sur votre ordinateur mais sur un ordinateur de la SNCF. On parle de serveur. Il faut choisir la meilleure technique pour obtenir ce résultat.

    Les solutions.

    Parmi toutes celles disponibles, examinons deux classiques, Microsoft asp dot net contre php.

    L’argumentation technique :

    En faveur de Microsoft
    • La rigueur du langage, la séparation des aspects présentation et calcul ; il en résulte un risque d’erreur de programmation réduit.
    • La puissance de l’outil de développement qui permet d’obtenir facilement un résultat.
    En faveur de php
    • Un langage facile à apprendre et peu contraignant.
    • Un langage puissant et compact.
    • Une grande souplesse pour dessiner les écrans désirés.
    Voila donc les arguments usuellement invoqués. Mais aucun n’est décisif, ils portent sur des aspects différents. Finalement d’autres arguments plus glauques vont intervenir.

    L’argumentation idéologique

    On peut aimer, ou détester Microsoft. Les produits sont d’utilisation facile. Mais la position dominante de Microsoft et ses virages fréquents peuvent agacer. Microsoft est une entreprise commerciale ; php est un logiciel libre c'est-à-dire produit par un ensemble d’individus.
    Voila donc les arguments évoqués devant la machine à café.

    Le non dit

    Privilégier l’ordre et la méthode avec Microsoft, ou la créativité et la liberté avec php. Avec un sous entendu, pourquoi j’aime tant l’ordre, ou pourquoi je défends âprement ma liberté.

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    1. Bonsoir,
      à mon tour de te dire "bravo" pour ton commentaire illustrant la méthode décrite dans l'article. il te reste pour essayer d'être provisoirement complet de l'utiliser à propos de chacun des 3 chapitres retenus : 1) l'argumentation technique; comment est-ce que je me détermine? 2) l'argument idéologique: même question; et 3) enfin les non dit : comment mettre à jour ce qui est là encore va être déterminant.
      Il est vraisemblable d’ailleurs que c’est la position prise à ce dernier niveau qui va déterminer les autres conclusions ; la manifestation, une fois de plus, que les raisons de la reconnaissance de la validité d’une théorie ne sont elles-mêmes théorique.

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    2. En effet, l'utilisation de ton approche, me permet de discerner sous une argumentation technique de façade des arguments idéologiques et même intimes. Comme toi, il me semble que le non dit va biaiser la décision. L'avantage de ton approche est de mettre ceci en lumière et donc d'en limiter les conséquences.

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    3. Eh! oui, c'est en ce sens que la philosophie nous permet finalement de nous approprier véritablement ce que nous considérons comme "nos" pensées, mais dont, bien souvent, nous n'avons jamais mis à jour les tenants et les aboutissants.

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  5. Dans La condition de l’homme moderne, chapitre 5, La vie activa et l’âge moderne, renversement de la contemplation et de l’action
    Hannah Arendt considère que l’influence des philosophes, tout au long de l’époque moderne, n’a cessé de diminuer. « Il est clair que la philosophie a été victime de l’époque moderne plus qu tout autre domaine de l’effort humain », soit « par l’élévation de l’activité à une dignité tout à fait inattendue et sans précédent, ou de la ruine de la vérité traditionnelle… »

    Qu’est-ce que philosopher, comment philosopher et pour quels buts, au XXI siècle ?

    Eléments de contribution
    La philosophie (esprit critique et élaboration de concepts) doit redevenir l’alter ego des rationalités mathématiques pour développer la pensée, les argumentations et concepts du non mesurable et non quantifiable sans le délier de ce qui est devenu mesurable.
    • Intégrer d’autres formes de raisonnement que l’argumentation Kantienne de la raison pure. Il s’agit d’hybrider l’histoire de la pensée philosophique avec les apports des logiques formelles et du « penser agir en complexité » afin de favoriser une prise en compte transversale des connaissances d’expertises verticales.
    • Se mettre en état d’inventer de nouveaux concepts adéquats pour prendre en compte les avancées des sciences et en particulier celles des neurosciences à propos du fonctionnement du cerveau humain.
    Le monde occidental est devenu essentiellement désenchanté. A contrario, les pratiques religieuses perdurent ou se développent dans le reste du monde. La pratique religieuse s’organise principalement autour de trois dimensions : le dogme, les rituels et la pratique spirituelle individuelle ou collective. Indépendamment du credo, système de croyance, la pratique religieuse a une portée sociale majeure : celle du vivre ensemble en harmonie. La portée sociale du fait religieux (ce qui relie les uns aux autres pour vivre en humanité et en dignité) ne peut pas être abandonnée sous prétexte du rejet de toutes formes de credo. C’est à mon avis le grand tord des intégrismes laïques que de rejeter le bébé avec l’eau du bain.
    • La pratique spirituelle qui s’est développée de manière désordonnée (un vaste marché lucratif avec risques de dérives sectaires non négligeables) en compensation du vide spirituel traditionnel, devrait être mise en perspective par la philosophie et organisée dans un cadre déontologique de sa mise en œuvre populaire.
    • Une véritable « théologie » laïque sans credo et simplement sous forme de questions, pourrait intégrer un ensemble de pratiques déontologiques organisant les rituels et faisant vivre les valeurs citoyennes.

    On pourrait commencer par une lecture critique de la posture de Hannah Arendt dans ce sous chapitre de la vie activa. Comment organiser le dialogue Bernard ?

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