mardi 24 décembre 2013

Le libre-arbitre et la responsabilité

( le 7/01/2014 ) J'attendais pour écrire cet article d'avoir relu les derniers chapitres de Gazzaniga  où il aborde cette question. Mais le temps des fêtes a prévalu pour une part, et ma lecture n'a pas progressé. Ceci dit quelques précisions peuvent d'ores et déjà être indiquées, nécessaires à la compréhension de ce qui pourrait - et un jour prochain pourra - suivre. 
                  1) tout d'abord le sentiment que j'ai d'être responsable de mes actes est-il lié à l'existence en moi, selon moi, de cette faculté de "penser et de décider librement", c'est à dire sans influence extérieure en sorte que j'aurais pu décider autrement que je l'ai fait? Faculté que je nomme "libre-arbitre". Ou, au contraire, quelles qu'ont été les conditions qui ont abouti à l'acte que j'ai fait,  suis-je suis prêt à en assumer la réalisation et les conséquences.
                     2) Si mon acte, au lieu de demeurer à l'intérieur de ma sphère personnelle, a des répercussions dans la sphère sociale, il me faut m'attendre à ce que l'on me demande d'en  rendre compte et sous des aspects divers à ce qu'une sanction sociale soit portée.
                               a - Ce sera tout d'abord la réparation du préjudice porté. Sa détermination peut s'avérer complexe et tient compte de la gravité du préjudice. Elle met un terme à l'action civile, même si d'un point de vue personnel je - on - peut estimer, dans certains cas, qu'elle ne supprime pas totalement ma responsabilité. Si l'acte n'est pas délictueux, non seulement l'action civile s'arrête là, mais aussi l'action sociale. Si l'acte, par contre, est délictueux, l"action sociale passe au pénal.
                                    b - il s'agit cette fois pour la structure sociale, dans un premier temps, de se protéger et de se prémunir d'une éventuelle récidive. La panoplie des mesures disponibles est vaste et là aussi adaptable à la gravité de l'acte? Elle peut aller de la condamnation à mort, de la privation ou de la restriction de liberté, au placement en hôpital psychiatrique, s'il s'avère que l'audience d'un procès est inutile, l'auteur du délit étant dans l'incapacité psychologique de rendre compte de son acte. Ce qui ne manque pas d'insatisfaire  les représentants de la victime, souvent dans une logique de "punition", logique que jusqu'à présent nous n'avons pas rencontrée.
.                         c)   Se prémunir d'une récidive, c'est aussi rééduquer l'individu, en modifier les réseaux de contraintes qui habituellement s'exercent sur lui; ce que l'on sait aujourd'hui de la plasticité du cerveau ouvre à ce propos des perspectives intéressantes.
                                 d - Ce dernier aspect de la sanction sociale se confond souvent avec ce qui précède, car il se concrétise dans la même mesure; il en est pourtant très différent fondamentalement. C'est l'aspect punition de la condamnation. Je dirais volontiers qu'il s'agit là d'un aspect anachronique, reste plus ou moins adouci de l'ancienne loi du talion, ( on ne donne plus chez nous de coups de fouet ) mais dont la justification technique (effet de dissuasion)  est , selon certaines études, trés aléatoire et souvent d'autant moins efficace que la gravité de l'acte est importante. Nous sommes en réalité là dans une problématique morale, où il ne s'agit plus de délits ou de crimes, en référence à une structure sociale qui énonce le droit et le légal, mais de fautes, en référence à un code de moralité (qui nous vient d'où?) qui  se réfère au bien et au mal et qui  est transgressé.  
                                 La référence à mon  "libre-arbitre" ne s'impose pour la société qu'à ce troisième niveau; mais celui ci est un doublon symbolique du second et ne détermine plus en rien finalement le résultat final, que la structure sociale doit établir d'abord selon des considérations liées à son devoir de protection de ses membres. L' affirmation selon laquelle le "libre-arbitre" est nécessaire à la reconnaissance par la société de la responsabilité de ses membres ne peut se justifier que par des raisons qui ne relèvent pas de l'exercice juridique. On retrouve alors ici l'importance de l'origine de ce concept, d'inspiration théologique, impliquant une forme de dualisme ontologique.  







Des "lois de la nature" au libre-arbitre

Cet article est consécutif à la lecture d'un livre de Gazzaniga dont les notes de lecture font l'objet ici d'un article particulier; mais il me semble que certaines remarques qu'il suscite chez moi peuvent faire l'objet d'un développement plus spécifique. IL va prendre un certain temps pour être complet. En attendant je vous renvoie aussi à un article que je me contente pour l'instant de reproduire dans un autre article de ce blog. Il concerne le problème en question de ce que nous appelons les "lois de la nature."



*) La conférence hier soir(le 16/04/2014) d’Aurélien BARREAU : cette impression de se demander de quoi finalement on parle ; du réel lui-même, dont on ira jusqu’à dire que peut-être il n’existe pas ; ou de ce que « logiquement », compte tenu de l’ensemble des représentations que j’ai déjà et qui me permettent de parler précisément de ce réel ( l’ensemble des théories scientifiques considérées actuellement comme pertinentes, corroborées expérimentalement) il me faut en outre supposer comme complément à ces théories. Si je puis dire que peut-être le réel lui-même n’existe pas, c’est que précisément, je ne peux pas déduire « logiquement » son existence, même si il m’est tout à fait impossible pratiquement de la nier. 


Je reproduis ici en 1) les remarques faites par moi dans l'article sur les notes de lecture du livre de Qazzaniga°.


1) nous nous trouvons face à ce qui n'est pas simplement une imprécision, mais une confusion. Confusion entre deux niveaux: le premier est celui de ce que certains appellent le "réel", c'est à dire l'ensemble de ce qui existe,en dehors de toute activité de connaissance s'exerçant sur lui. Le second est celui de ce qu'alors j'appelle "la réalité", c'est à dire la représentation de ce "réel" à laquelle j'accède au terme de mes processus cognitifs. Que le "réel" ne fonctionne pas n'importe comment est exprimé de la manière la plus générale par l'expression "ordre cosmique"; mais si la culture traditionnelle chinoise par exemple se réfère à cette expression, la notion de "loi de la nature", par contre n'y a pas de sens, la notion d'un dieu créateur et législateur du monde n'existant pas. Dès lors il nous faut nous interroger: par l'expression "lois de la nature", qu'entendons-nous au juste? Les situons-nous au niveau du "réel", ce qui dans notre culture occidentale est possible, ce "réel" ayant été créé par  un Dieu potentiellement législateur. Ou les situons nous au niveau de notre "réalité", c'est à dire au niveau de notre compréhension du "réel", compréhension qui, elle, ne peut prétendre à autre chose qu'à sa relativité par rapport à ce qui nous est donné d'observer du "réel", selon les outils dont nous disposons, et par rapport aux outils conceptuels qui nous permettent de l'exprimer. Passer de ce niveau de notre compréhension du "réel", au niveau du "réel" lui-même est injustifié, même si notre compréhension nous permet d'intervenir sur ce "réel" et de le modifier. Cela ne nous autorise pas à identifier nos "lois de la nature" ( productions théoriques nous permettant d'ordonner les phènomènes que nous pouvons observer, et éventuellement d'intervenir sur eux) avec les processus de fonctionnement du "réel" ( qui ne peuvent être pensés comme des lois que dans une perspective créationniste du monde), que nous ne pouvons atteindre qu'à travers "nos" lois de la nature.Dès lors, quand nous parlons du déterminisme, pour l'affirmer ou le remettre en cause, de quoi parlons-nous exactement? A quel niveau nous situons-nous? Celui de nos représentations; ou celui du "réel"? Pouvons-nous vraiment énoncer en la justifiant la formule ci dessus de Richard Feynman : "C'est la manière dont la nature est vraiment faite..." ?




2) le 24/12/2013: Il y a sousjacent à cette confusion un présupposé dont nous héritons de Descartes, à savoir que le fonctionnement de notre raison est conforme au fonctionnement du "réel." La pensée ne doit rien au processus évolutif de la matière mais est directement créée par Dieu, ce qui me rend "à son image". Comme Dieu ne peut être un malin génie qui chercherait à me tromper, les moyens cognitifs dont je dispose de par cette création en moi d'une substance pensante "à l'image de dieu" sont à même de me faire découvrir les lois que ce même dieu a établies pour le fonctionnement de la nature; le problème ici est celui de l'origine de notre raison: relève-t-elle d'un processus évolutif ou d'un processus introduisant une rupture ontologique en nous. C'est un problème typiquement occidental mais qui vient perturber notre façon d'aborder le problème du libre arbitre et par ricochet celui de notre responsabilité. 

Celui du libre arbitre d'abord car celui-ci dépend de ce qu'il en est du déterminisme et non seulement de ce que nous pouvons en dire. Quand bien même nos représentations du monde nous amènerait à rejeter un déterminisme total cela ne prouverait rien au niveau du fonctionnement de la nature elle-même, et surtout ne permettrait d'aucune manière d'interférer au niveau du libre-arbitre. Car ce concept n'est pas un concept scientifique, ni philosophique d'ailleurs, mais un concept d'origine théologique (Saint Augfustin) destiné à dédouaner le dieu créateur de l'existence du mal au sein de sa création. Le mal tire son origine de l'homme libre de faire le bien et le mal quand il est véritablement un homme en possession de tous ses moyens ( c'est à dire???) 
Gazzaniga semble s'interoger malgré tout sur le contenu de ce concept "Nous ne voulons pas être libres de nos systèmes de décision que nous avons réussi à développer. De quoi voulons-nous donc être libres?" P; 146

En effet, quand l'homme revendique sa liberté, au point de mourir pour elle, que revendique-t-il? Son libre-arbitre? C'est à dire la possibilité de faire ou ne pas faire ce qu'il entreprend? Ce que Bergson appelle une illusion rétrospective...(cf."Essai sur les données immédiates de la conscience" pp125-130) Ou plus simplement la possibilité de réaliser ce à quoi lui-même aspire, quand bien même cela serait déterminé, et non ce que lui permet de faire celui ou ceux qui exercent sur lui leur pouvoir; ainsi la liberté, et non le libre-arbitre, toujours selon Bergson,(cf. ouvrage cité pp132-137) réside moins dans la possibilité de faire ou ne pas faire ce que j'entreprends, que dans le rapport que je peux entretenir avec ce que je fait: puis-je ou non en revendiquer la totale paternité, c'est à dire la correspondance avec mes aspirations les plus personnelles.


Quant à la responsabilité, elle demeure toujours totale vis à vis de ce que je fais, le déterminisme n'intervenant ici d'aucune manière; mais je pense que cela mérite à lui seul un nouvel article. 


3) Par contre l'idée de parvenir à une théorie complète de l'univers, contrairement à ce qui est affirmé dans l'article de Eric MERGUIN: "Nous allons bientôt atteindre la certitude sur la question de l'origine de l'univers, car nous sommes sur le point d'obtenir la théorie finale complète, synthèse de la relativité, de la mécanique quantique et de la mécanique statistique. Nous connaîtrons bientôt la pensée de Dieu. " semble s'éloigner définitivement, car, à moins de consentir au présupposé hérité de Descartes dont nous venons de parler, et donc d'accepter le dualisme ontologique qui y est lié,il nous faut reconnaître que nos connaissances sont irrévocablement relatives à deux données évolutives. 

          a) les moyens d'observation du réel  dont nous disposons et qui sont tels que nous ne pouvons prétendre que nous avons accès dès aujourd'hui à tous les phénomènes de la nature, et que nos lois rendent compte de la diversité de tous les phénomènes observables au sein de notre univers, qui d'ailleurs n'est peut-être pas le seul... A ce niveau les connaissances que nous avons - qui ne sont pas rien - nous font de plus en plus ressentir l'étendue de ce que nous ignorons. 
      b) Par ailleurs ces connaissances sont aussi relatives aux outils conceptuels ( concepts, mots...) dont nous disposons pour les formuler. Ceux utiles dans les théories de Newton ne sont pas les mêmes que ceux utilisés par la théorie quantique et le problème que pose la possibilité nouvelle que nous avons d'observer ce que nous appelons les phénomènes mentaux nous met en face justement de la difficulté que nous avons d'en rendre compte avec les concepts et les mots dont nous disposons. cf l'article "notes de lecture" citation de gazzanica page 143. "...De nouvelles règles s'appliquent quand de plus hauts niveau d'organisations émergent...La question est de savoir si nous pouvons nous appuyer sur ce que nous savons du niveau inférieur de la neurophysiologie sur les neurones et  les neurotransmetteurs pour arriver à un modèle déterministe prédisant les pensées conscientes, les productions du cerveau ou la psychologie... Comme lorsque logiciel et matériel interagissent, l'esprit est en quelque sorte une propriété indépendante du cerveau mais aussi complètement dépendante de lui. Je ne crois pas qu'il soit possible de construire un modèle complet du fonctionnement mental de haut en bas..." p. 143

et plus loin :

"...J'ai essayé de proposer une autre façon de voir ce dilemne ( déterminisme ou libre-arbitre). Mon argument est que toutes les expériences de la vie, personnelles et sociales, ont un impact sur le système mental qui émerge de nous. Ces expériences sont de puissantes forces qui modulent l'esprit. Elles influent non seulement sur notre cerveau, mais révèlent aussi que c'est l'interaction entre ces deux couches du cerveau et de l'esprit qui nous donne notre réalité consciente, ce que nous sommes dans l'instant présent. Démystifier le cerveau est une tâche des neurosciences modernes. Pour terminer ce travail, les neurosciences devront toutefois penser à comment les règles et les algorithmes qui gouvernent tous les modules séparés et distribués du cerveau agissent ensemble pour donner la condition humaine.
                            Comprendre que le cerveau fonctionne automatiquement et obéit aux lois de la nature est à la fois réconfortant et instructif. Réconfortant parce que nous pouvons avoir confiance dans le fait que ce système de prise de décision, le cerveau, possède une structure fiable pour décider des actions. C'est aussi instructif car cela révèle que toute cette question obscure du libre-arbitre est un concept mal agencé, fondé sur des réflexions sociales et psychologiques tenues à des moments particuliers de l'histoire humaine qui ne se sont pas confirmées ou sont en contradiction avec la connaissance scientifique actuelle de la nature de notre Univers..." (pp.238-239).













le temps et les lois de la nature

cet article est ici reproduit tel quel; il fera plus tard l'objet de certaines remarques mais il m'a semblé intéressant en lui-même pour les questions qui seront envisagées à propos du libre-arbitre. (Bernard le 24/12/2013)



SITUATIONS DU TEMPS dans la science et dans la philosophie contemporaines
1
Les enjeux du débat engagé entre
Stephen Hawking, auteur d'une Histoire du temps, et Ilya Prigogine, auteur de Temps à devenir
par
Eric MERGUIN Professeur au collège Voltaire
Le problème du temps
temps spatialisés; temps à devenirs
Le débat scientifique. L'enjeu philosophique.
A propos du film d'Errol Morris (1992) sur
Une brève histoire du temps du physicien Stephen Hawking (1989)
2
Son premier message :
Nous allons bientôt atteindre la certitude sur la question de l'origine de l'univers, car nous sommes sur le point d'obtenir la théorie finale complète, synthèse de la relativité, de la mécanique quantique et de la mécanique statistique. Nous connaîtrons bientôt la pensée de Dieu.
Cette affirmation est pour le moins aventuriste et un brin prétentieuse. Obtenir une théorie complète, et donc définitive, ne serait possible que si nos connaissances n'étaient pas irrévocablement relatives à deux paramètres eux-mêmes évolutifs et donc changeants: a) nos moyens d'observation dépendants de notre technologie; b) nos outils conceptuels, parfois inadaptés aux phénomènes nouveaux qu'il nous est donné d'observer, et qu'il nous faut donc re-produire.(29/12/2013)
Son second message :
L'univers est, ne devient pas. Il convient donc d'éliminer le temps et sa flèche,car le temps, comme irréversibilité, ou même comme succession (comme déroulement naturel), serait une illusion.
Question :
Comment la physique en est-elle arrivée à une idée qui contredit notre expérience de l'existence? Au point d'affirmer
- que tout recommence, - que nous recommençons, - que le futur "influence" le passé, - que nous renaîtrons dans la peau de quelqu'un qui a vécu avant nous?
Discussion :
Pour comprendre la signification de la proposition qui affirme que
l'univers est et qu'il ne devient pas,
il faut se reporter à la notion propre à la conception occidentale des sciences, qui est la notion de
LOI de la nature.
Par exemple, celle de Newton qui dit que
"la force est proportionnelle à l'accélération".
Si l'on connaît les conditions initiales, on peut prédire, avec certitude, au moyen de cette loi, ce qui va arriver ou ce qui s'est déjà passé.
Il n'y a pas ici ( le "ici" est à préciser: nous parlons de ce que nos systèmes de représentations de la nature nous proposent, ou nous parlons de la nature elle-même...)(29/12/2013) de différence entre futur et passé, puisque l'accélération est une dérivée seconde dans le temps.
C'est l'idée de symétrie entre futur et passé, c'est-à-dire l'idée d'un univers statique.
3
L'apport de l'histoire des sciences et de l'histoire des idées
Quelle est l'origine de cette idée de "loi de la nature"? Ici, la théologie a joué le rôle principal. En Chine, par exemple, cette idée ne pouvait germer. N'ayant pas celle d'un Dieu législateur, elle n'a pas conçu non plus celle de loi de la nature, ni même de nécessité naturelle.
(On peut se reporter sur ce point à l'oeuvre de Joseph Needham, notamment à La science chinoise et l'Occident, chapitre 6 : La loi humaine et les lois de la nature, Le Seuil, 1973).
Leibniz (1646-1717) disait espérer comprendre Dieu à travers les lois de la nature, comprendre la nécessité qui se manifeste dans la nature. Or, pour Dieu, justement, il n'y a ni passé, ni futur. Tout, pour lui, est "omnia simul", comme disait déjà Augustin dans ses Confessions (400), tout est présent à la fois, simultané, sans succession, éternel.
Mais ce Dieu omniscient et tout-puissant est daté. Il est surtout le Dieu des mécaniciens et du XVIIe siècle.
Donc le savoir véritable serait celui qui élimine le temps. L'idée de loi est ainsi basée sur l'idée de certitude. Or, la certitude est aussi une caractéristique de la science occidentale, apparue avec Descartes (1596-1650), lors des guerres de religion, c'est-à-dire à l'époque tragique des certitudes conflictuelles. Descartes cherche donc à concevoir une certitude accessible à tous, et qui soit un élément de paix entre les hommes, dans les sciences, en prenant pour modèle la géométrie, et en philosophie en partant de l'évidence de sa propre pensée.
Or, pour arriver à cette idée de l'harmonie éternelle des choses, à l'idée de certitude indubitable et d'univers statique, il faut payer le prix du dualisme, d'un dualisme fondamental : détacher l'homme du devenir, et, pour nous, payer le prix de l'aliénation, car nous ne pouvons pas décrire notre existence, ni la vie sans parler d'évolution.
D'un côté, il y a un univers automate qui ne devient pas, soumis à des lois certaines, de l'autre, la vie humaine qui est pensée, intelligence désincarnée.
Hawking ne parle pas du temps, il parle de cosmologie. Il remplace le temps (à devenir) par un temps dit "imaginaire", pour le spatialiser.
4
L’apport d’ Ilya Prigogine
Pour Prigogine, tout au contraire, il ne s'agit pas d'introduire le temps dans la physique au prix d'abandonner, comme l'ont fait Bergson et Einstein, la science classique, mais de quitter les situations simples pour les situations complexes, celles dans lesquelles on rencontre le temps et sa flèche.
Dans un pendule "parfait" (sans friction) le temps, en effet, n'intervient pas; et si le pendule pouvait être pris pour symbole de l'univers, alors on pourrait imaginer un univers sans direction du temps. Un mécanicien peut facilement imaginer un univers statique. Un chimiste ou un biologiste observent des phénomènes (réactions chimiques pour l'un ou processus évolutifs pour l'autre) qui impliquent une direction du temps. Les (ou des) physiciens répondent qu'on ne parvient pas (encore?) à appliquer les lois fondamentales à ces phénomènes trop compliqués. Ce sont les approximations qui conduisent à une flèche du temps. Si cela était vrai, l'existence de la vie serait due à nos erreurs, alors que nous sommes le résultat de l'évolution biologique.
L'histoire du temps au XXe siècle
C'est au cours de ce siècle que s'est donc faite l'histoire du temps.
Boltzmann (1844-1906), très influencé par Darwin (1809-1882), a été le premier physicien à penser une conception évolutive de l'univers, comme une généralisation de la conception darwinienne, tout en étant persuadé de la validité des lois de Newton. Boltzmann est mort de n'avoir pu concilier ces deux conceptions contradictoires.
Or, le XXe siècle découvre ou redécouvre un univers évolutif dans lequel il y a non seulement des lois mais des événements, tout comme dans l'histoire.
Et depuis seulement 30 ans (vers 1960), on comprend que l'existence des phénomènes complexes dans la nature sont rendus possibles par des rythmes, organisés par des écarts à l'équilibre, et qu'on appelle des structures dissipatives.
5
Les phénomènes irréversibles ne sont plus seulement, comme l'ont cru Boltzmann, un chemin vers le désordre, ou Einstein, une apparence; ils ont un rôle constructif.
Il y a, comme disait déjà Bergson, une évolution créatrice. Newton n'a pas toujours raison.
Il y a des systèmes dynamiques dans lesquels apparaît une flèche du temps. Ce sont les systèmes de Poincaré (1854-1912),
systèmes instables, chaotiques et non intégrables.
Il s'agit d'une troisième révolution de la physique (après la révolution quantique et la relativité), révolution dans la branche la plus ancienne, la dynamique, qui abandonne l'idéal de certitude et d'intemporalité.
Le déterminisme et la prétention de prédictibilité générale qui régnaient depuis trois siècles dans la science occidentale n'ont maintenant qu'une portée limitée dans les systèmes dynamiques complexes.
Au lieu de spatialiser le temps on "temporalise" les espaces.
Ainsi, l'univers lui-même a commencé dans une instabilité. Le monde n'est pas comme une pomme tombée d'un arbre et qui ne peut que pourrir. La nature aussi invente, comme le monde humain produit des inventions au cours du temps. Toutes les prédictions de mort, soit par expansion spatiale et mort thermique, soit par contraction qui tuerait toute organisation, sont le résultat de croyances à la certitude et au déterminisme.
6
Conclusion
Les nouvelles "lois de la nature" expriment seulement ce qui est possible. L'univers devient, comme l'homme, comme la nature. La nouvelle formulation des lois de la nature rend possible des événements.
Une fugue de Bach peut être un bon modèle de l'univers: un mélange d'événements et de régularités.
Les règles ne suffisent pas. L'art dépasse ces règles pour se faire oeuvre.
Prolongements
Outre les retours obligés aux sources toujours rafraîchissantes des textes fondateurs (Bergson L'évolution créatrice 1907; Henri Poincaré Science et méthode 1908, surtout le chapitre 4; Pierre Duhem La théorie physique 1906, et surtout le chapitre sur l'imprédictibilité : (exemple de déduction mathématique à tout jamais inutilisable), on peut lire de
David Ruelle, l'inventeur des attracteurs étranges : Hasard et chaos, surtout le chapitre 8 : Hadamard, Duhem et Poincaré, Ed.Odile Jacob, 1991.
Ilya Prigogine, Les lois du chaos, Flammarion, 1994.
Etienne Klein, Le temps, Dominos/Flammarion, 1995.
Isabelle Stengers, Cosmopolitiques, surtout le tome 6 : La flèche du temps, La Découverte, 1997.
Eric Merguin
eric.merguin@bluewin.ch Genève, mars 2010
_____________________________________________________________________
Copyright © 2010 ATHENA - Pierre Perroud. All Rights Reserved
http://athena.unige.ch/