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HEGEL : Principes de la philosophie du droit .
« Supposons que nous produisions comme des êtres humains :
chacun de nous s’affirmerait doublement dans sa production, soi-même et
l’autre. 1) Dans ma production, je réaliserais mon individualité, ma
particularité ; j’éprouverais, en travaillant, la jouissance d’une
manifestation individuelle de ma vie, et dans la contemplation de l’objet,
j’aurais la joie individuelle de reconnaître ma personnalité comme une
puissance réelle, concrètement saisissable et échappant à tout doute…2) Dans ta
jouissance ou ton emploi de mon produit, j’aurais la joie spirituelle
immédiate de satisfaire par mon travail un besoin humain, de réaliser la nature
humaine et de fournir au besoin d’un autre l’objet de sa nécessité. 3)
J’aurais conscience de servir de médiateur entre toi et le genre humain,
d’être reconnu et ressenti par toi comme un complément à ton propre être et
comme une partie nécessaire de toi-même, d’être accepté dans ton esprit comme
dans ton amour. 4) J’aurais, dans mes manifestations individuelles, la joie de
créer la manifestation de la vie, c’est à dire, de réaliser et d’affirmer
dans mon activité individuelle ma vraie nature, ma sociabilité humaine. Nos
productions seraient autant de miroirs où nos êtres rayonneraient l’un vers
l’autre. » Marx, Economie
et philosophie…Œuvres (tome II - p.33)
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4ème séance :
Philo-UIAD du26/11/14-Mrs.Journault et
Myard :
« Travail aliénant ? »
http://jeanclaude.chene.free.fr/Philosophie/
Ma force de travail :
ce à quoi je suis réduit
= une marchandise
→ Mon travail :
l’objet produit
= ne dépend de moi
- ni
dans sa détermination
-
ni dans sa finalité
- ni dans son résultat (
exploitation)
→ Mon
travail :
l’activité
= n’est déterminée par moi
- ni dans ses modalités
- ni dans sa quantité
↓
Mon travail n’est
pas mon travail
= aliénant
« La force de travail est
donc une marchandise que son possesseur, le salarié, vend au capital. Pourquoi
la vend-il ? Pour vivre.
Mais la manifestation de la force de travail, le travail, est l'activité
vitale propre à l'ouvrier, sa façon à lui de manifester sa vie. Et c'est cette
activité vitale qu'il vend à un tiers pour s'assurer les moyens de subsistance
nécessaires. Son activité vitale n'est donc pour lui qu'un moyen de pouvoir
exister. Il travaille pour vivre. Pour lui-même le travail n'est pas une partie
de sa vie, il est plutôt un sacrifice de sa vie. C'est une marchandise qu'il a
adjugée à un tiers. C'est pourquoi le
produit de son activité n'est pas non plus le but de son activité. Ce
qu'il produit pour lui-même, ce n'est pas la soie qu'il tisse, ce n'est pas
l'or qu'il extrait du puits, ce n'est pas le palais qu'il bâtit. Ce qu'il
produit pour lui-même, c'est le salaire, et la soie, l'or, le palais se
réduisent pour lui à une quantité déterminée de moyens de subsistance,
peut-être à un tricot de laine, à de la monnaie de billon et à un abri dans une
cave. Et l'ouvrier qui, douze heures durant, tisse, file, perce, tourne, bâtit,
manie la pelle, taille la pierre, l
a transporte, etc., regarde-t-il ces douze
heures de tissage, de filage, de perçage, de travail au tour ou de maçonnerie,
de maniement de la pelle ou de taille de la pierre comme une manifestation de
sa vie, comme sa vie ? Bien au contraire, la
vie commence pour lui où cesse cette activité, à table, à l'auberge, au
lit. Par contre, les douze heures de travail n'ont nullement pour lui le sens
de tisser, de filer, de percer, etc., mais celui de gagner ce qui lui permet d'aller
à table, à l'auberge, au lit. Si le ver à soie tissait pour subvenir à son
existence de chenille, il serait un salarié achevé. »
Karl Marx - Travail
salarié et Capital, éd. Sociales.
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5ème séance :
Philo-UIAD du
10/12/14-Mrs.Journault et Myard :
« travail ou emploi ? »
Le travail – création
(avec expression de soi)
↓
Participation à
l’effort collectif
(sentiment d’utilité) Participation
à la richesse sociale
(source de revenu)
Loisirs vie familiale et privée
↑
Hiérarchie–employeur
↓
l’emploi – fabrication
(sans expression de soi)
↓ ↓
Salariés ↓
↑ ↓
←
CHÔMAGE
« Marx a reconnu la valeur du
travail ; le travail est d’une certaine manière la seule valeur, la
liberté créatrice, l’essence de l’homme, mais il est cela « en soi »,
comme disent les philosophes. Marx pense qu’ « en soi » le travail est pure puissance d’expression
et doit permettre aux hommes
d’exprimer pleinement leur singularité et leur appartenance à la société ; mais il sait
aussi que pour en arriver là il faudra désaliéner le travail. N’oublions pas la
principale critique de Marx : le
travail actuel est aliéné, et c’est seulement lorsqu’il sera désaliéné,
libéré, qu’il pourra devenir premier besoin vital, que nous pourrons enfin
produire comme des êtres humains. Et, pour obtenir ce résultat - Marx est très
clair - , il nous faut une vraie révolution, il nous faut abolir le salariat.
Or le problème, c’est que, loin
d’abolir le salariat, la fin du XIXème voit, avec le développement de
l’Etat-providence et la mise en place des institutions de la société salariale,
la promotion et la stabilisation massive du salariat. Paradoxe, c’est sur le lien salarial que
s’installent les protections ; le droit du travail, la protection sociale.
D’où la question qui parcourt tout le livre que j’ai consacré au travail en
1995 et qui m’a valu tant de problèmes sans que malheureusement, le débat se
concentre sur cette question essentielle : pouvons-nous vraiment penser aujourd’hui que le travail est
libéré ? Qu’’il permet aux êtres humains de s’exprimer et de se
réaliser alors que les conditions mises à sa libération, et notamment
l’abolition du salariat ne sont en aucune manière advenues ? Au contraire,
celui-ci, loin de disparaître, s’est développé intensément et est devenu[…]
l’objectif des mouvements syndicaux et
sociaux : le salariat apparaît
aujourd’hui comme ce qu’il y a de plus désirable. Mais le salariat, le
fait que dans le secteur privé la caractéristique du travail soit la subordination, le fait que dans
la société capitaliste le travail exercé en entreprise soit d’abord soumis à la logique de productivité et
de rentabilité, tout cela n’est-il pas contradictoire avec l’idéal d’une travail œuvre individuelle et collective ?[...]
Autrement
dit, ou bien on accepte ce statut du travail, subordonné mais relativement
protégé, tout en reconnaissant que, si l’on veut que ça tienne, il va falloir
avoir toujours plus de croissance, de revenus, de protections ( pour que le jeu
en vaille la chandelle, en quelque sorte) : les salariés trouvent dans la consommation une sorte de compensation
au fait que le travail reste fondamentalement aliéné en régime capitaliste. Ou
alors, il s’agit de mettre le réel en conformité avec nos attentes et nos
croyances : il nous faut donc mettre en place les conditions de la libération du travail. Y sommes-nous
prêts ? Le souhaitons-nous ? Quelles modalités une telle
révolution devrait-elle recouvrir ? »
Dominique
MEDA : « Travail : la révolution nécessaire »
pages 52 à 55 ; éditions de « l’aube ». 2011.
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6ème séance:
Philo-UIADdu 07/01/15-Mrs.Journault et Myard :
«L’histoire du travail?»
http://jeanclaude.chene.free.fr/Philosophie/
Confusion « Travail / Emploi » ?
Le travail « précède » l’emploi
Histoire du « mot » travail ?
=
Des usages très divers, négatifs ou positifs
(instrument de torture / production de richesse)
+
Histoire du travail d’« aujourd’hui » ?
=
Des activités très diverses, négatives ou positives
(arts manuels / œuvres intellectuelles)
Pas«le»travail mais des «activités humaines» hétérogènes !
=
Le point de vue anthropologique ?
« Tout à la fois oppresseur et libérateur, le travail est un concept pluriel. Sa diversité est présente dès l’origine et se déploie aussi dans les langues étrangères. La notion de travail est multiple, et s’exprime de diverses façons. Cette diversité d’approches est fonction de l’histoire sociale, et aussi, à chaque époque, de points de vue divergents. […].
On fait de plus en plus référence, pour le mot français travail, à son origine formelle, latine, le mot tripalium, nom d’un instrument formé de trois pieux, devenu trepalium en bas latin. Ce mot pouvait désigner un instrument de torture. (…) Il y a encore, du côté abstrait, l’emploi du mot travail pour les douleurs de l’accouchement (salle de travail, femme en travail). Retrouver la torture, la douleur, la peine dans le «travail» est un exercice mental utile, mais trompeur, car le vocable, par une longue évolution de sens, a investi des champs sémantiques différents. (…) Une idée générale de l’activité humaine orientée vers un résultat intentionné reste valable, quel que soit le mot sélectionné par une langue pour l’exprimer, à travers les civilisations et les époques. Cette idée fait l’objet de jugements, d’évaluations et d’attitudes mentales qui eux, ne sont pas universels, mais soumis aux opinions dominantes (en grec doxa) d’une société à un moment donné. (…) Dans la pensée grecque antique, trois termes peuvent articuler la pensée du travail humain, celui de praxis, où un sujet crée l’acte et se modifie lui-même par un comportement et une volonté; celui de poiesis, lorsque le sujet crée quelque chose hors de lui-même; celui de tekhnê, visant un ensemble de savoirs acquis et une expérience préalable pour obtenir un résultat intentionné. La tekhnê est une méthode d’action et de travail sur la nature et le milieu. Ce genre de considérations peut aboutir, à l’époque moderne, à une «métaphysique du travail», comme celle de Raymond Ruyer (Revue de Métaphysique et de Morale, 1949), pour qui le «travail» correspond à l’apparition de la liberté dans un simple «fonctionnement», même si le travail en question est imposé. (…) Cependant, philosophes et écrivains ne font que réagir aux nouvelles conditions sociales du phénomène «travail», quand sont devenus clairs les effets de la mutation préindustrielle au tournant du XVIIIe siècle et celle de l’organisation économique vers la fin de ce siècle et au suivant. […].
Quant à la notion de «travail», qui s’articule à cette évolution de la perception des sociétés, elle a été analysée, après les philosophes et les moralistes, par les économistes. Chez Adam Smith, fondateur du capitalisme théorique dans les années 1770, les trois domaines sont mêlés. Sa théorie se fonde sur la division du travail et sur le fait que c’est le travail qui fonde la valeur. (…) La construction économique qui structure les idées de travail avec celles de salaire, d’emploi, la distinction du travail simple et du travail complexe, les réflexions sur la valorisation du travail, plus par un produit, comme dans l’artisanat, mais par un gain pour l’investisseur, tout cela, parmi bien d’autres facteurs, qu’on admette ou qu’on récuse ce Capital si difficile à décrypter, marque profondément le concept. […].
Une autre mutation, difficile à évaluer car elle est en cours, prend place après la fin de la guerre de 1940-1945. Les mots correspondant à «travail» ont alors un sens différent selon les sociétés et les nations, selon leur richesse (le PIB) et la répartition de cette richesse, selon la vitalité des partis à vocation «sociale» et selon celle des «syndicats», mot fortement évolutif. (…) La critique morale et sociale de ce néolibéralisme boursier est active, mais aucune synthèse de la nature des socialismes du XIXe siècle et du XXe, ni même des théories économiques de ces époques de capitalisme industriel ne se formule encore. »
Alain Rey, Dire le travail: une histoire d’idées, n°2 de « La revue forum » - Janvier 2012
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7ème séance:
Philo-du 21/01/15-Mrs.Journault et Myard:
« Le travail, donnée anthropologique ? »
http://jeanclaude.chene.free.fr/Philosophie/
Le
travail =donnée anthropologique ?
↙ ↘
le point de vue anthropologique/
le point de vue essentialiste
↙ ↘
non « ethnocentrique ») (« ethnocentrique »)
« Les indiens ne consacraient que peu de temps à
ce que l’on appelle le travail… Une économie de subsistance est compatible avec une considérable limitation
du temps consacré aux activités productives… Hommes et femmes passaient au
moins la moitié de la journée dans une oisiveté presque complète, puisque
chasse et collecte prenaient place, et non chaque jour, entre 6 heures et 11
heure du matin environ…Cela signifie que les sociétés primitives disposent, si
elles le désirent, de tout le temps nécessaire pour accroitre la production de
biens matériels…A quoi serviraient les surplus ainsi accumulés ?...On peut
admettre, pour qualifier l’organisation économique de ces sociétés,
l’expression d’économie de subsistance, dès lors que l’on entend par là non
point la nécessité d’un défaut, d’une incapacité inhérents à ce type de société
et à leur technologie, mais au contraire le refus d’un excès inutile, la volonté
d’accorder l’activité productrice à la satisfaction des besoins…Les sociétés
primitives sont bien des sociétés de refus du travail : « Le mépris
des Yanomami pour le travail et leur désintérêt pour un progrès technologique autonome est certain »(Lizot). Premières
sociétés du loisir, premières sociétés d’abondance selon la juste et gaie
expression de M.Sahlins.
…A quelles
conditions peut se transformer ce rapport de l’homme primitif à l’activité de
production ? A quelles conditions cette activité s’assigne-t-elle un but
autre que la satisfaction des besoins «énergétiques ? C’est là poser la
question de l’origine du travail comme travail aliéné
Dans la
société primitive, société par essence égalitaire, les hommes sont maîtres de
leur activité, maîtres de la circulation des produits de cette activité :
ils n’agissent que pour eux-mêmes, quand bien même la loi d’échange des biens
médiatise le rapport direct de l’homme à son produit. Tout est bouleversé, par
conséquent, lorsque l’activité de production est détournée de son but initial,
lorsque au lieu de produire seulement pour lui-même, l’homme primitif produit
aussi pour les autres, sans échange ni réciprocité. C’est alors que l’on peut
parler de travail : quand la règle égalitaire d’échange cesse de constituer
le « code civil » de la société, quand l’activité de production vise
a satisfaire les besoins des autres, quand à la règle échangiste se substitue
la terreur de la dette…
…Inachèvement,
incomplétude, manque : ce n’est certes point de ce côté-là que se révèle
la nature des sociétés primitives. Elle s’impose bien plus comme positivité,
comme maitrise du milieu naturel et maîtrise du projet social, comme volonté
libre de ne laisser glisser hors de son être rien de ce qui pourrait l’altérer,
le corrompre et le dissoudre. C’est à cela qu’il s’agit de tenir
fermement :les sociétés primitives ne sont pas les embryons retardataires
des sociétés ultérieures, des corps sociaux au décollage « normal »
interrompu par quelque bizarre maladie, elles ne se trouvent pas au point de
départ d’une logique historique conduisant tout droit au terme inscrit
d’avance, mais connu seulement a posteriori, notre propre système social…Tout
cela se traduit, sur le plan économique, par le refus des sociétés primitives
de laisser le travail et la production les engloutir, par la décision de
limiter les stocks aux besoins socio-politiques, par l’impossibilité
intrinsèque de la concurrence…en un mot, par l’interdiction, non formulée mais
dite cependant, de l’inégalité. »
Pierre CLASTRES - La
société contre l’Etat, pp.165 à 170.