philosophie et savoir-faire
Le
07 décembre 2017 :
Je
vais poursuivre l'objectif que nous nous étions donné :
essayer de précisr ce qu'était ce savoir-faire qui caractérisait à
nos yeux l'activité philosophique. Et si quelque écrit existe suite
à ce travail, je le signerai : « Bernard , Didier »
Quand
nous avons cessé d'assurer notre participation commune aux séances
de philosophie organisées par l'UICG et l'UIAD, nous avions décidé,
Didier et moi, de poursuivre notre travail commun, en essayant de
préciser en quoi consistait notre conception de la philosophie:
qu'elle était moins un savoir, qu'un savoir-faire. Nous avions
entamé ce travail, interrompu par le décès de Didier. J'ai décidé
alors de poursuivre la réalisation de ce projet commun. Aujourd'hui,
le résultat en est ce texte qui ne prétend pas être complet sur le
sujet et que votre propre réflexion – il ne vise rien d'autre
qu'éventuellement la susciter et pour cela est envoyé à plusieurs
personnes - peut enrichir et parfaire. Si vous souhaitez m'en faire
part , vous pouvez me la communiquer par écrit ou par mail...Je vous
répondrai cette fois personnellement.
Bernard
Journault, 16 rue des déportés, 38100 GRENOBLE.
Adresse
mail : bgjourn@wanadoo.fr
Dans votre réponse, indiquez moi si vous acceptez qu'elle paraisse publiquement, soit dans un fichier envoyé par mail, soit même intégrée à un opuscule imprimé.
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Le
savoir-faire philosophique
Préliminaires:
quelques livres
1)
Deleuze : Qu'est-ce que la philosophie?
Format:
Broché
Ce
livre est absolument immense -car comment sortir de ce problème là
(qu'est-ce que la philosophie?) sans dire dire ou penser que la
philosophie est réductible au simple travail de la pensée
(Confucius était-il philosophe ?) ou, pire, de la communication
(Beigbeider et Ardisson ne se disent-ils pas "concepteurs",
à la télévision ou dans la publicité?)? Deleuze et Guattari quant
à eux limitent et délimitent le champ de leur analyse et en arrive
à cette définition d'une simplicité et d'une beauté proprement
effarante: que la
philosophie est la fabrication de concepts.
Ainsi, la philosophie n'est ni découverte (aller derrière
l'apparence, vers les Idées) ni simple opinion (le
concept n'existe que par rapport à un problème, qu'il
s'agira de résoudre: par exemple celui de la démocratie grecque
-qui choisir parmi les prétendants?). La philosophie est un métier,
et le philosophe rabote ses concepts comme l'artisan sa table, le
mathématicien ses fonctions, l'artiste ses affects... C'est que
l'exercice de la philosophie est d'abord un exercice d'humilité, qui
nous ferait voir (ce n'est déjà pas si mal!) la beauté et la
gaieté du monde : le concept comme bloc d'espace-temps, fenêtre
ouverte sur le monde...
Tout ça pour dire que, comme tous les
livres de Deleuze, "Qu'est-ce que la philosophie ?" est un
grand livre comique.
La
philosophie n'est ni contemplation, ni réflexion, ni communication.
Elle est l'activité
qui crée les concepts.
Comment se distingue-t-elle de ses rivales, qui prétendent nous
fournir en concepts (comme le marketing aujourd'hui) ?
La
philosophie doit nous dire quelle est la nature créative du concept,
et quels en sont les concomitants : la pure immanence, le plan
d'immanence, et les personnages conceptuels. Par là, la philosophie
se distingue de la science et de la logique. Celles-ci n'opèrent pas
par concepts, mais par fonctions, sur un plan de référence et avec
des observateurs partiels. L'art opère par percepts et affects, sur
un plan de composition avec des figures esthétiques. La philosophie
n'est pas interdisciplinaire, elle est elle-même une discipline
entière qui entre en résonance avec la science et avec l'art, comme
ceux-ci avec elle : trouver le concept d'une fonction, etc. C'est que
les trois plans sont les trois manières dont le cerveau recoupe le
chaos, et l'affronte. Ce sont les Chaoïdes. La pensée ne se
constitue que dans ce rapport où elle risque toujours de sombrer.
2)
André COMTE-SPONVILLE: Présentation de la philosophie
Philosopher,
c'est penser par soi-même, chercher la liberté et le bonheur, dans
la vérité. Mais nul n'y parvient sans l'aide de la pensée des
autres, sans ces grands philosophes qui depuis l'Antiquité ont voulu
éclairer les grandes questions de la vie humaine. Pour nous aider
dans nos premiers pas, André Comte-Sponville nous propose ici
l'approche de douze thèmes éternels, tels que la politique et la
morale, l'amour et la mort, la connaissance et la sagesse... Se
référant aux grands courants philosophiques dans leur diversité,
leurs convergences ou leurs contradictions, il nous invite à
continuer ensuite l'exploration par nous-mêmes, en nous proposant un
guide détaillé des uvres et des auteurs essentiels de la
philosophie occidentale. Donner l'envie à chacun d'aller y voir de
plus près, l'aider à y trouver à la fois du plaisir et des
lumières telle est l'ambition de cet essai, uvre d'un spécialiste
qui n'a pas oublié l'appel de Diderot : "Hâtons-nous de rendre
la philosophie populaire !"
-
Jeanne
HERSCH: L'étonnement philosophique
L'étonnement
est cette capacité qu'il y a à s'interroger sur une évidence
aveuglante,
c'est-à-dire qui nous empêche de voir et de comprendre le monde le
plus immédiat. La première des évidences est qu'il y a de l'être,
qu'il existe matière et monde. De cette question apparemment toute
simple est née voilà des siècles en Grèce un type de réflexion
qui depuis lors n'a cessé de relancer la pensée : la
philosophie.
L'histoire de cet étonnement, toujours repris, sans
cesse à vif, continûment reformulé, Jeanne Hersch nous la raconte
à partir de quelques philosophes occidentaux : les présocratiques,
Socrate, Platon, Aristote, les épicuriens, les stoïciens, saint
Augustin, Thomas d'Aquin, Descartes, Spinoza, Leibniz, Locke, Kant,
Hegel, Comte, Marx, Freud, Bergson, Kierkegaard, Nietzsche, Husserl,
Heidegger, Jaspers. Aussi cette histoire de la philosophie nous
dit-elle, en réalité, comment la philosophie fut en tout temps,
actuelle.
Ce
sont des préliminaires, parce qu'à mon sens, ces textes ne peuvent
répondre précisément à la question:
qu'est-ce
qui caractérise la philosophie?
Une
création de concepts?
A
supposer que la philosophie puisse créer des concepts - je dirai le
contraire plus tard: des concepts à propos de quel objet? - est-elle
la seule à le faire? Quelle est cette opposition, selon Deleuze,
entre concepts ( la philosophie ) et fonctions ( la science) et
percepts (l'art) ? Trouver les concepts correspondants aux fonctions
et aux percepts ? D'accord, mais comment fait-on ?
Penser
par soi-même?
L'expression
suppose que le «soi-même» soit une réalité bien définie;
Qu'est-ce que le soi? et dans ce cas, est-ce une recommandation qui
ne s'adresse qu'à la philosophie? Si l'on voit bien ce que
l'expression veut dire, elle ne peut pas s'appliquer seulement à la
philosophie et ne peut donc la caractériser. Par ailleurs, je ne
suis pas sûr que l'on puisse penser par soi-même et il me paraît
en l'occurence plus important de déterminer d'où l'on pense.
S'étonner?
Là
encore l'étonnement est certainement une attitude nécessaire à la
philosophie, mais n'y a-t-il que le philosophe qui s'étonne, ou
cette attitude est-elle commune au départ de toute réflexion? Et
toute réflexion est-elle philosophique?
Nous
ne pouvons donc pas, à l'aide de ces trois textes, répondre à la
question qui nous préoccupe: Que fait la philosophie?
Retour alors à SOCRATE
ou à
la PHILOSOPHIE comme SAVOIR-FAIRE
[de
nombreux passages de ce qui va suivre sont tirés de l'article:
«Socrate et les mythes»
… ils sont écrits
de cette couleur]
mes
propos sont en noir
[Socrate
n'est pas le fondateur
de la philosophie comme on le prétend parfois. Avant lui et comme le
nom l'indique, il y eut les présocratiques. Certains sont très
connus comme Pythagore, Thalès, Empédocle, Parménide et Héraclite
d'Ephèse. Mais Socrate est le fondateur du logos (du discours),
c'est à dire d'une pensée rationnelle, cohérente, qui se libère
progressivement du mythe. Il se méfiait de l'écriture et son
enseignement fut donc exclusivement oral. Tout ce que nous savons de
lui nous vient donc des témoignages des autres, le plus important
étant celui de son élève, Platon....]
Socrate
par contre est considéré comme l'initiateur
de la philosophie. Pourquoi? A l'époque de Socrate, les discours
expliquant le monde sont principalement les mythes, récits que les
sophistes de l'époque déjà critiquaient car leur contenu ne
correspondait pas à ce ce que les grecs pouvaient observer à partir
de leurs pérégrinations. La terre ne pouvait pas être plate, la
voute céleste ne pouvait pas être fixe...Socrate fut d'abord l'un
d'eux...avant de s'éloigner d'eux en les interrogeant sur ce qu'ils
pouvaient dire.
Leurs
propos étaient-ils fiables? Comment pouvaient-ils les justifier?
L'observation empirique et l'argumentation rationnelle prenait alors
peu à peu droit de cité. Socrate, lui, ne prétendait pas avoir
une autre vision du monde à opposer à toutes celles qu'on lui
présentait.
[...Mais
il les interrogeait toutes. Il fit de cette attitude sa méthode.
Socrate
interroge l'artisan, le général, le politicien, le prêtre même et
il leur prouve qu'ils sont incapables de définir l'objet de leur
savoir.. Ainsi, Socrate se range parmi les sophistes, en limitant ses
recherches au seul sujet que nous puissions connaître, à savoir
l'homme... Voilà le sens du " Connais-toi toi-même ! "…]
Le
savoir nécessaire au savoir-faire philosophique est déjà lui-même
un savoir-faire, « un savoir-interroger ».
La
philosophie venait ainsi de naître, non comme une manière
particulière et nouvelle de Socrate de produire un savoir, mais
comme son savoir-faire « son savoir-interroger »
[...Socrate
n'a laissé aucun écrit. On nous rapporte ses paroles mais que
valent ces témoignages ? Selon Diogène Laërce, Socrate entendant
Platon
lire son Lysis
se serait écrié "
Comme ce jeune homme me fait dire des choses qui ne sont pas de moi !
"... ]
[...Si
l'on se fie à un passage du Phédon,
Socrate aurait renoncé à la philosophie naturelle des physiciens,
en constatant qu'après avoir rattaché l'organisation du cosmos à
une intelligence, Anaxagore se bornait ensuite à un mécanisme qui
rendait inutile la Providence. Autrement dit, Anaxagore introduit un
Dieu qui ne sert à rien pour expliquer le monde...]
[...Socrate
s'aperçoit que Dieu est objet de foi et non de science...]
[...Socrate
se réclame de la raison et d'une raison universelle. Mais dès lors
il faut fonder métaphysiquement la raison pour être assuré de son
universalité. Or le fondement ne saurait être Dieu puisque Dieu se
dérobe à notre Science et qu'il possède seul le privilège de
connaître les Idées ou Formes absolues. Pourtant, Socrate a besoin
que nos idées soient vraies. Le substitut de la preuve métaphysique
lui est fourni par une expérience et par une analogie.
L'expérience
est celle du démon : sorte d'ange gardien, de dieu intérieur (par
opposition aux dieux objectivés de la mythologie) dont les ordres,
soit positifs, soit négatifs (arrête-toi, marche etc.), sont des
exemples, pour l'individu particulier d'une Providence au-dessus de
nos raisonnements. Il est l'intermédiaire entre l'homme et Dieu. Il
est lumineux, inspirateur. Le démon assume dans l'expérience vécue
le rôle, chez Platon,
du mythe dans l'expérience pensée.
La
croyance au Bien absolu par delà les biens relatifs, étayée par
la théorie de la définition, entraîne la croyance[...]en la
validité universelle de nos concepts. Somme toute, en dégageant la
cohérence des paroles de Socrate, telles qu'elles nous sont
parvenues, il semble que chez lui la raison pratique fonde la raison
théorique. Mais tout cela reste implicite.
Socrate
dialogue. Peut-être créa-t-il la dialectique c'est-à-dire le
dialogue, la parole alternée.[...]
[...La
dialectique socratique brise les longs discours. Elle procède par
courtes réponses et ne vise pas à l'ingéniosité mais à la
rigueur rationnelle. Elle s'adresse à l'intellect et non à la
recherche affective. Elle a pour but de convaincre et non de
persuader.
Comment
s'y prend Socrate ? Il commence par ironiser. "
Je ne sais pas mais toi tu sais ".
L'ironie au sens primitif du terme désigne en effet l'action
d'interroger en feignant l'ignorance. Son ironie est à la fois
sérieuse et moqueuse :
sérieuse,
car Socrate sait effectivement qu'il ne sait rien puisqu'il a
renoncé aux prétentions du dogmatisme ;
moqueuse,
car la dialectique se prépare à démontrer à l'autre (et devant
les autres) qu'en réalité il ignore ce qu'il se flatte de savoir.
Le dialecticien laisse à son antagoniste le soin de faire la preuve
qu'il n'est pas un idiot.
Il
s'agit d'accoucher un esprit. C'est ce qu'on appelle la maïeutique.
Quelle est cette vérité dont doit accoucher cet esprit ? La
définition d'un genre et non pas l'idée absolue qui n'est
accessible qu'à Dieu. On accède à la définition d'un genre en
remontant par induction du particulier à l'universel. Le juste, ce
n'est pas cette bonne action ou cette autre, c'est le juste déterminé
dans son essence.
Pour
la déterminer, le dialecticien part de ce que l'on
dit, des opinions dont la parlerie quotidienne maintient les
généralisations hâtives et les préjugés. Les opinions données,
il les réfute en conduisant l'antagoniste à reconnaître qu'elles
ne sont pas applicables à tous les cas de la même espèce
(l'observation)
et qu'elles renferment des contradictions (
argumentation rationnelle)
.
On ne sait pas encore ce qu'est le vrai qu'on voit déjà apparaître
le faux. La conscience de l'anormal implique celle du normal, l'aveu
de l'ignorance libère la possibilité d'un savoir.
Bref,
le particulier perçu renvoie, dès qu'on y réfléchit, à un
universel conçu. De l'énonciation incomplète, confuse, fautive, du
bavardage quotidien, la chaîne des raisons forgée par le travail du
dialecticien et du protagoniste remonte à l'énonciation claire et
véritable de l'essence...
Le
grand mérite de Socrate serait d'avoir établi que, par un travail
en commun sur le discours commun, on peut parvenir à un discours
juste.
Tandis que le sophiste, maître des discours persuasifs en langage
commun, parle devant les autres mais non avec les autres, le
dialecticien renonce au monologue d'apparat pour convaincre par le
dialogue.
La
définition juste sera, comme en géométrie, le principe de la
déduction juste. Cette définition est un concept fondamental. Le
concept socratique s'en tient à la constatation de ce que l'on
découvre dans tout esprit humain par une interrogation bien conduite
: c'est dans le discours même qu'est ce lieu de la vérité...]
Revenons
à nous-mêmes... !
Philosophie
et savoir faire
Quand
nous disons que la philosophie n'est pas un savoir, mais un savoir
faire, que disons nous exactement ? En quoi consiste ce savoir faire?
«Au sens moderne et pour une bonne partie des philosophes
contemporains, la philosophie n’est pas un savoir, ni un ensemble
de connaissances, mais une démarche de réflexion sur les savoirs
disponibles.
Ancrée dès ses origines dans le dialogue et
le débat
d'idées, elle peut se concevoir comme une activité d'analyse, de
définition, de création ou de méditation sur des concepts.
À
la différence des sciences
naturelles,
des sciences
formelles
et des sciences
humaines,
auxquelles elle est intimement liée par son histoire, la philosophie
ne se donne pas un objet d'étude particulier et unique.
On
trouve toutefois au sein de la philosophie des domaines d'étude
distincts se présentant chacun comme détenant un savoir; tels la
logique,
l’éthique,
la métaphysique,
la philosophie
politique
et la théorie
de la connaissance
(appelée
aussi épistémologie).
Au cours de l’histoire, d’autres disciplines se sont jointes à
ces branches fondamentales de la philosophie, comme l’esthétique,
la philosophie
du droit,
la philosophie
de l'esprit,
la philosophie
des sciences,
ou la philosophie
du langage.»
(tiré
de « qu'est-ce que la philosophie» de vikipedia)
Socrate
disait: «je sais que je ne sais rien.» sur
tel ou tel aspect du monde.
Par
contre il interrogeait ceux qui pensaient
la-dessus
posséder un savoir:
C'était alors, de sa part, non l'expression
d'un savoir, mais un savoir-faire.
Il
mettait en rapport ce que son interlocuteur lui disait avec les
propos d'autres athéniens, ou avec les attitudes des uns ou des
autres.
Par là,
il contribuait à déstabiliser les certitudes admises, et
encourageait ses interlocuteurs à s'interroger sur le bien-fondé de
leurs affirmations: pour les athéniens, c'était là corrompre la
jeunesse - les inviter à interroger, donc à ne pas prendre pour
quelque chose qui allait de soi ce qui faisait alors autorité
(
les idées du moment - les mythes - mais aussi les personnes et le
fonctionnement social )
et
c'est pour cela qu'ils ont condamné Socrate à boire la cigüe, non
pour des théories particulières que Socrate aurait alors
développées.
Pour
que la philosophie soit une création de concepts, il faudrait
qu'elle ait un objet d'étude propre à propos duquel elle produirait
alors un savoir, «un problème à résoudre» comme le dit Deleuze;
Or, en dehors des objets des discours métaphysiques ( l'âme, Dieu,
le sens de la vie, etc...ce qu'on appelle les grandes questions
philosophiques ) , quel peut être l'objet propre de la philosophie?
L'être en tant qu'être, contenu dans l'ontologie?
Mais
dès que je parle de l'être, je le qualifie et le transforme ainsi
en un « étant », un élément particulier du monde qui m'entoure.
Il peut à son tour devenir l'objet d'un discours de type
scientifique. celui-ci peut alors aboutir sur cet « étant » à un
savoir et devenir ainsi un nouveau discours parmi d'autres, avec des
mots exprimant des concepts.
Mais
la philosophie ne répond pas ainsi aux questions des hommes;
Elle
interroge par contre les nombreuses réponses qui leurs sont
apportées, souvent par les religions, d'autres fois par des «
penseurs », des idéologues, et de façons diverses.
Dans
certains discours le monde a un sens; pour d'autres il est absurde.
Tantôt il est toujours en mouvement (Héraclite), tantôt il demeure
toujours le même, même si le mouvement cyclique peut donner
l'impression qu'il change ( Parménide).
Où
est alors le prétendu savoir sur le monde? Qu'est-ce qui est vrai?
Ou l'homme est-il la mesure de toutes choses comme le prétendait
Protagoras?
Tout
cela ne fait pas de la philosophie un savoir-faire spécifique.
Le
seul objet spécifique de la philosophie, ce sont ces divers discours
que l'homme a produits, y compris les discours métaphysiques,
ontologiques, ou religieux, et tous ceux se présentant comme
philosophiques et apportant des réponses aux multiples
interrogations des hommes.
Elle
est ainsi, dans une première approche, une réflexion sur tous les
savoirs disponibles, selon une expression de Comte-Sponville,
une
réflexion sur tous les discours existants se présentant comme
porteurs d'un savoir sur tel ou tel aspect du monde, dirais-je plus
précisément;
Mais
cette réflexion ne consiste pas pour la philosophie à étudier les
discours comme on étudierait un « étant » particulier, afin de
développer sur lui un savoir.
La
philosophie n'est pas la linguistique; elle n'est pas la science des
discours, mais une réflexion sur eux, y compris sur la linguistique.
A
ce titre une certaine ambiguité peut aussi résider dans ce qu'on
appelle la philosophie analytique.
Le savoir faire philosophique portant sur les discours consiste à
les mettre en rapport les uns avec les autres, afin de déterminer
éventuellement entre deux, et entre eux et le vécu qu'à un certain
moment les hommes ont des « étants » dont les discours parlent,
des correspondances, ou des incompatibilités.
L'étonnement
alors surgit et demande une réaction...
Les
unes comme les autres peuvent ainsi disparaître, laissant place
éventuellement à un nouveau discours, initié alors par la
philosophie elle-même, et parfois développé par elle. Dans une
activité qui n'est pas proprement philosophique, mais que le
philosophe assume le temps que cette activité s'autonomise dans un
nouveau discours ( exemple: A incompatible avec non-A; mais en B, A
et non-A peuvent devenir deux discours compatibles .)
Ainsi
la philosophie a été historiquement à l'origine de nombreux
discours de type scientifique qui peu à peu se sont autonomisés
pour se développer en dehors de toute démarche ou prétention
philosophique.
Ce qui fait dire à certains que l'autonomisation de tous ces
discours finit par enlever à la philosophie toute réalité,
celle-ci n'ayant plus d'objet propre sur lequel elle pourrait
développer un discours.
Au
contraire cela rend à la philosophie sa véritable fonction, qui
n'est pas d'étudier tel ou tel « étant », tel ou tel aspect du
monde, et d'élaborer sur lui un nouveau discours, mais de mettre en
rapport les divers discours prétendant posséder sur l'un ou sur
l'autre de ces « étant » un savoir.
La
philosophie retrouve ainsi sa véritable fonction.
Que
fait-elle alors?
J'existe au sein d'un
environnement particulier et d'une réalité sociale spécifique, et
si je veux comprendre comment j'évolue au sein de tout cela il me
faut d'abord considérer que j'en ai trois approches qui fonctionnent
ensemble mais selon un ordre varié:
Il y a d'abord la façon dont
je ressens cette réalité, la façon dont je l'éprouve et
l'envisage pour le futur; il y a aussi la façon dont je la nomme; et
encore la façon dont je l'analyse et la pense.
Ces trois approches, dont le
contenu est toujours socialement conditionné fonctionnent en même
temps, mais peuvent ne pas être clairement posées;
C'est
le fait d'un savoir faire philosophique de précisément les poser
comme incontournables:
Exemple: mon voisin est un
étranger; je le ressens étrangement: j'en ai peur; je pourrais dire
que je m'en méfie, que je le crains, qu'il m'inquiète, mais je dis
que j'en ai peur; pourquoi ce terme sinon en fonction de l'analyse
reçue, admise communément à propos des étrangers.
Que vais-je faire? L'éviter?
Tenter de dépasser ma peur et entrer en contact avec lui? Retour sur
le rapport direct au réel?
Ici je passe du vécu au
nommé, du nommé au pensé, du pensé au vécu.
Mais cet ordre peut être
différent; l'essentiel est de comprendre que à un endroit et à un
moment donné, dans un contexte social donné, je ne peux pas
ressentir n'importe comment, je ne peux pas nommer ce ressenti
n'importe comment, ni l'analyser n'importe comment.
Quand
je suis en train de lire un document qui se présente comme exprimant
un savoir, son contenu est consécutif à un travail d'observation,
puis
d'analyse,
lui
même consécutif ainsi à un vécu initial et un vécu terminal: que
vais-je, que puis-je faire de ce savoir?
Exemple
plus parlant encore: la neige . Je ne sais combien de termes existent
chez les innuits pour désigner l'objet de ce vécu qui pour moi est
simplement de la neige; la sociologie ou l'ethnologie vont me le dire
au terme d'un travail d'analyse qui leur confèrera sans
doute
à
ce sujet un savoir;
La philosophie ne fait pas ce
travail;
par
contre
son
exercice critique portera sur le caractère universel ou relatif du
vécu initial comme de celui de l'analyse
qui
en est faite.
D'où
vient ton savoir? Ce qui est critiqué n'est pas le savoir lui-même
mais la possibilité ou non d'en rendre compte.
Qu'est-ce
qui fait que ce que tu dis, ou écris, est un savoir?
«La
philosophie ainsi accompagne
les savoirs et les renouvelle en les questionnant» nous dit
Ménissier.
Travail
sur les concepts en comparant les divers prétendus savoirs, et en
mettant à jour les possibles incompatibilités entre certains
discours ou écrits se présentant comme porteurs d'un savoir.
Eventuelle
incompatibilité qui peut aboutir, comme on l'a vu plus haut, à la
non prise en considération de l'un de ces discours, ou à la
recherche dans un nouveau discours d'un point de vue possible par
rapport auquel l'incompatibilité disparaît.
Le
savoir faire philosophique, alors, est à l'origine d'une nouvelle
démarche de connaissance, mais celle-ci n'est pas elle-même
philosophique.
«En
d’autres termes, .., ce qu’elle fait apparaître de nouveau
provient – assez paradoxalement – du fait qu’elle accompagne
des savoirs ou des pratiques, et les renouvelle en les questionnant.
L'ego des philosophes dû-t-il en souffrir, il
faut reconnaître que jamais la philosophie n’est aussi pertinente
que lorsqu’on la conçoit comme un discours d’accompagnement des
pratiques et des sciences qui ne sont pas elles.
Et
en tant que telle, elle rend un inestimable service à ces dernières
Sans doute alors pourrait-on la définir comme…le plus essentiel et
le plus irremplaçable des savoirs d’accompagnement?"
Ménissier
Je
dirais, : «le plus irremplaçable, non
des savoirs,
mais
des discours prétendant exprimer un savoir sur tel ou tel aspect du monde."
Bernard, décembre 2017
Dans votre réponse, indiquez moi si vous acceptez qu'elle paraisse publiquement, soit dans un fichier envoyé par mail, soit même intégrée à un opuscule imprimé.
Tout ça pour dire que, comme tous les livres de Deleuze, "Qu'est-ce que la philosophie ?" est un grand livre comique.
- Jeanne HERSCH: L'étonnement philosophique
L'histoire de cet étonnement, toujours repris, sans cesse à vif, continûment reformulé, Jeanne Hersch nous la raconte à partir de quelques philosophes occidentaux : les présocratiques, Socrate, Platon, Aristote, les épicuriens, les stoïciens, saint Augustin, Thomas d'Aquin, Descartes, Spinoza, Leibniz, Locke, Kant, Hegel, Comte, Marx, Freud, Bergson, Kierkegaard, Nietzsche, Husserl, Heidegger, Jaspers. Aussi cette histoire de la philosophie nous dit-elle, en réalité, comment la philosophie fut en tout temps, actuelle.
Le
savoir nécessaire au savoir-faire philosophique est déjà lui-même
un savoir-faire, « un savoir-interroger ».
L'expérience est celle du démon : sorte d'ange gardien, de dieu intérieur (par opposition aux dieux objectivés de la mythologie) dont les ordres, soit positifs, soit négatifs (arrête-toi, marche etc.), sont des exemples, pour l'individu particulier d'une Providence au-dessus de nos raisonnements. Il est l'intermédiaire entre l'homme et Dieu. Il est lumineux, inspirateur. Le démon assume dans l'expérience vécue le rôle, chez Platon, du mythe dans l'expérience pensée.
La croyance au Bien absolu par delà les biens relatifs, étayée par la théorie de la définition, entraîne la croyance[...]en la validité universelle de nos concepts. Somme toute, en dégageant la cohérence des paroles de Socrate, telles qu'elles nous sont parvenues, il semble que chez lui la raison pratique fonde la raison théorique. Mais tout cela reste implicite.
sérieuse, car Socrate sait effectivement qu'il ne sait rien puisqu'il a renoncé aux prétentions du dogmatisme ;
moqueuse, car la dialectique se prépare à démontrer à l'autre (et devant les autres) qu'en réalité il ignore ce qu'il se flatte de savoir. Le dialecticien laisse à son antagoniste le soin de faire la preuve qu'il n'est pas un idiot.
Ménissier