mardi 15 avril 2014

PENSEE ET LANGAGE

PENSEE ET LANGAGE:

Il est curieux de constater que si l'on admet aisément que la pensée a besoin de signes matériels pour s'expliciter elle-même et se communiquer, il est fréquent d'entendre que le langage articulé, l'utilisation des mots,  n'est qu'une manière particulière de répondre à cette nécessité, au même titre que d'autres, telles que les images ou les divers mode de l'expression artistique.  Or, si il est clair que si le langage a ses limites dans l'expression de la pensée, et que celle ci, par le langage, a ses limites dans la compréhension du monde qui m'entoure, le langage articulé dont l'homme dispose semble bien rester l'outil principal, à la fois par lequel ma pensée se constitue, et celui par lequel elle se communique. Le prochain thème de réflexion de l'atelier philo (le 29 de ce mois) nous en fera peut-être la preuve: "Peut-on faire un atelier philo sans les mots?" (cf. Ephémérides du 16/04/2014.>


"Peut-on penser sans langage?"
Cest le thème sur lequel nous aurons à réfléchir ce soir 15 avril 2014 à l'atelier philo

A propos du thème qui nous occupera ce soir à l’atelier philo : « Peut-on penser sans langage ? », il convient de noter que mon premier rapport au monde qui m’entoure n’est pas un rapport cognitif, mais un rapport utilitaire dépendant de la nécessité où je me trouve pour vivre d’échanger avec mon milieu, et ce, d’abord, par la respiration. La pensée est seconde. Quel est le rapport qui unit cette activité cognitive avec le rapport initial qui ne doit rien, lui, au moins tout au départ, à la condition sociale dans laquelle j’apparais, mais qui semble dépendre quasi exclusivement, à ce niveau très primaire, de ma complexion biologique de membre d’une espèce vivante.(Ephémérides du 15/04/2014)

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présentation du thème par Laurent:
Ma question à peine posée, je l'ai quasiment regrettée. la réponse (négative) n'est elle pas évidente? Le concept de langage et celui de pensée n'est il pas consubstantiel à l'idée que j'ai de l'homme? S'il n'y a pas d'humanité sans langage ( qu'il s'agisse de phylogenèse ou d'ontogenèse), et s'il n'y a pas non plus d'humanité sans pensées, puis-je en déduire qu'il n'y a pas de langage sans pensée?
Il semble en tout cas difficile de dissocier, de disjoindre ces notions afin d'établir des rapport entre elles.
Est ce que le concept de dromadaire continue a avoir du sens pour vous si j'en imagine un, dénaturé, sans sa bosse? De même pour un crocodile à plume?
Ma pensée semble apparemment libre tant qu'elle ne reste qu'entre moi et moi.
Peut on dire qu'elle sort de ma boite crânienne ?
Le fond est il à la pensée ce que la forme est au langage? N'est ce pas poser la prééminence de la pensée (forcément noble car elle est à MOI) sur le langage réduit à un simple véhicule?
Ma pensée exprimée cheminant je me dis (ah bon? Je me parle?) l'inverse: bien sûr qu'il y a pensée sans langage chez le bébé...En tout cas je suppose.... Aucun ne m'en a jamais parlé...
Et pour cause!
Par ailleurs ma question ne s'entends pas ( d'ailleurs d'où vient cette expression? depuis quand faut-il entendre une question pour qu'une pensée chemine en moi?)...dans l'instant mais dans un rapport au temps plus large... Car sinon à un instant t il me paraît évident que je suis capable de penser à un instant T sans que je ou qu’on me parle....
Quoi qu'il en soit il faudra sûrement élargir la question aux rapports entre pensée et langage.
L'un est il la condition de l'autre? Quelle synergie est à l'oeuvre ? Pensées et langage ont-ils émergé concomitamment dans l’évolution de l'espèce humaine? Sont elles 2 faces d'une même réalité humaine?
Est ce que par exemple le logos de la raison ne dégrade pas l'intuition et la pensée. Que perd une pensée exprimée ?
Est ce que les conditions du langage trahissent, pervertissent une pensée authentique, parfaite.
Une fulgurance, un feeling, une intuition, peut elle se codifier comme dans un formulaire administratif?
Et même est ce que les conditions du langage ne façonneraient pas la pensée ?
Est ce que notre nature sociale et notre besoin d'amour ne rendent pas nécessaire le
langage, lui même rendant nécessaire la pensée rationalisante ? celle-ci étant non plus au début du processus de conscience mais à la fin. Communiquer efficacement sur l'incommunicabilité éventuelle d'une pensée, n'est-ce pas la un syllogisme?....et surtout n'est ce pas pourtant la démonstration que le langage enrichit la pensée?
Mais quelle est donc la nature de ce cerveau nourri via le langage par des informations physiquement extérieures mais apparaissant créateur de connaissance ex-nihilo.
Connaissance qui, pour être considérée comme telle, devra passer par les fourches caudines des codes communicationnels. Une sorte de retour à l'envoyeur de signaux, d'informations, après quelques modifications. Quelle est la nature de ces modifications?
Laurent

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article présenté par Mustapha pour aider à la réflexion de ce soir:
Le concept de « pensée » possède au moins deux acceptions majeures:
Au sens strict, c’est la pensée intellectuelle, passant par les idées, par les concepts, par les mots : c’est le jugement.
Au sens large, la pensée désigne tout phénomène conscient, comme par exemple l’imagination ou encore la perception.
D’un côté, toute pensée semble passer nécessairement par le langage, mais de l’autre, elle semble facilement ne pas toujours emprunter la voie du langage pour se réaliser. Mais doit-on se satisfaire d’une telle dichotomie ?
N’y a-t’il pas tout d’abord des formes d’intellections non conceptuelles, dont l’intuition intellectuelle semble être un parfait exemple ? Le langage n’est-il alors qu’un simple instrument de la pensée (puisqu’ici le langage semble excéder celle-ci) ? Celle-ci serait alors indépendante, antérieure, voire plus large que le langage par lequel elle s’exprime. Le langage n’est-il pas au contraire une condition nécessaire de la pensée, c’est-à-dire ce sans quoi il n’y a de pensée, d’une part communiquée (c’est évident), d’autre part solitaire (semble moins évident). C’est ici entre autre le problème de l’ineffable : existe-t-il de l’indicible néanmoins pensé ? D’autre part, si la pensée comprise comme l’ensemble de la vie consciente, psychique semble bien pouvoir se passer d’un langage, n’est-ce pas une apparence trompeuse ? Des opérations de l’esprit comme l’imagination ou la perception sont-elles vraiment « sans langage » ? Et si ces opérations avaient un langage, ne serait-ce pas en un sens plus large que celui de la pensée conceptuelle ?
Quel est donc le rapport entre la pensée et le langage : est-il extérieur, accidentel, ou au contraire constitutif ? Bref : peut-on penser sans langage ?
I- la pensée indépendante du langage
La thèse selon laquelle il serait possible de penser sans langage revient entre autre à considérer le langage comme un simple instrument de la pensée. La pensée est alors ici une réalité préexistante, antérieure, dont le langage se fait simple médiateur. En ce sens la pensée conceptuelle, passant par des mots ne serait qu’une espèce du genre pensée, ce ne serait qu’une forme, restreinte, qu’elle peut prendre. La pensée serait du spirituel, de l’immatériel qui peut se matérialiser avec le langage ou bien rester immatérielle. On en arrive alors par exemple au problème de l’adéquation du langage avec la pensée qu’elle doit exprimer : le langage est-il un bon intermédiaire ? La pensée ne se fait-elle pas en quelque sorte en dépit du langage, dans le sens où les mots, les concepts, les langues ne seraient que des outils imparfaits pour la matérialisation et la transmission de la pensée ? Le fait que l’on cherche parfois nos mots peut par exemple être interprété en faveur de cette thèse, du moins en faveur de la thèse selon laquelle la pensée serait antérieure au langage, celui-ci extérieur à celle-là.
Certains philosophes ont souligné les limites de la pensée conceptuelle, c’est-à-dire les limites du concept pour exprimer au moins certaines formes de pensée. Bergson a par exemple mis en exergue l’impossibilité de saisir conceptuellement ce qu’est la vie, et notamment sa forme la plus élevée qu’est la vie consciente, du fait d’une sorte de raideur des concepts. Notre existence est profondément temporelle. Il s’agit de ressaisir en-deça de toute activité consciente la vie de l’esprit comme durée, flux. Saisir ce flux temporel, c’est saisir quelque chose de toujours identique en moi, c’est atteindre une vérité. Cette vérité est saisie par une intuition, c’est-à-dire ici une vision de soi par soi : cette intuition intellectuelle peut être comprise comme le contact immédiat entre la pensée et son objet, sans le passage par l’intermédiaire d’un concept. Ce qui signifie que l’accès à cette vérité que  notre vie consciente est profondément durée se fait par un mouvement qui va contre l’intellect et s’enracine dans le vouloir, comme si la volonté se retournait sur elle-même. C’est un acte de l’esprit, donc en ce sens il existerait une pensée non conceptuelle, prenant ici la forme de l’intuition intellectuelle. Tout le problème est alors de dire, de communiquer cette durée, car elle est au-delà du langage. La pensée conceptuelle montre ici ses limites. En un sens, notre durée est quelque chose d’ineffable, d’indicible : il y a ici une inadéquation entre la pensée intuitive et le langage. Mais on peut tout de même en faire une monstration, une description. C’est ce que fait Bergson, souvent par des formules négatives et limitatives, mais également par des métaphores comme « mélodie », « organisme »… C’est comme s’il tentait d’encercler l’objet de son intuition sans pouvoir le montrer directement. Ainsi, chez Bergson, d’une part, il existe de la pensée non conceptuelle, qui n’est pas médiatisée par le langage, et, d’autre part, la communication de cette intuition ne peut se faire qu’imparfaitement, comme le prouve l’emploi de métaphores et de descriptions négatives. Il y aurait donc des formes de pensée intellectuelle sans langage.
Enfin, à côté de ce sens restreint de la pensée, il est possible de mettre en avant un sens bien plus large, que l’on retrouve par exemple chez Descartes, pour qui la pensée peut être comprise comme l’ensemble des phénomènes de la vie consciente. Dans les Réponses aux secondes objections, Descartes propose cette définition de la pensée : « Par le nom de pensée, je comprends tout ce qui est tellement en nous que nous en sommes immédiatement conscients. Ainsi toutes les opérations de la volonté, de l’entendement, de l’imagination et des sens sont des pensées ». La pensée, c’est donc ici ce dont on est immédiatement conscient. L’imagination fonctionne par images, représente des choses par le biais d’images. Il semble douteux qu’en imaginant on pense avec le langage, du moins si l’on considère celui-ci comme la faculté de communiquer la pensée par un système de signes. On peut traduire le contenu de l’imagination par le langage, mais elle n’est pas elle-même un langage. De même la perception semble bel et bien se passer d’un langage.
Par conséquent, la pensée semble bien pouvoir se passer du langage, ce qui revient à considérer celui-ci comme un simple instrument, et la pensée comme antérieure et plus vaste que le langage. L’intuition peut apparaître comme une forme de pensée non conceptuelle dont on ne peut que difficilement rendre compte par langage : il faut par exemple utiliser des descriptions indirectes. La possibilité d’une pensée indépendante du langage apparaît encore plus nettement si l’on adopte un sens large de la pensée. Mais ce rapport instauré entre le langage et la pensée est-il satisfaisant ? Ne faut-il pas, notamment, restreindre le sens de « pensée » et préciser le sens de ce concept ?
II-Pensée intellectuelle et nécessité du langage
Il est possible de limiter le concept de « pensée », de le faire ainsi coïncider avec l’activité conceptuelle. Pour Kant, par exemple, la pensée est une activité de l’entendement, une activité de liaison qui produit l’unité dans des jugements et des concepts, dans des raisonnements. Penser revient alors à déterminer conceptuellement un donné. Comme il le dit dans la première section (De l’usage logique de l’entendement en général) de L’analytique transcendantale de la Critique de la raison pure, l’entendement utilise le concept pour réunir diverses représentations sous une représentation commune. Par ces concepts, l’entendement pose des jugements, c’est-à-dire a des connaissances médiates d’un objet. Soit le jugement «tous les corps sont divisibles » , le concept du divisible se rapporte à divers autres concepts ; mais, entre eux, il se rapporte particulièrement à celui de corps, lequel à son tour, se rapporte à certains phénomènes qui se présentent en nous. Ainsi ces objets sont médiatement représentés par le concept de la divisibilité. Tous les jugements sont donc des fonctions qui consistent à ramener nos représentations à l’unité, en substituant à une représentation immédiate une représentation plus élevée qui contient la première avec beaucoup d’autres, et qui sert à la connaissance de l’objet, de sorte que beaucoup de connaissances possibles se trouvent réunies en une seule . Penser revient donc à réunir des représentations diverses sous des représentations plus élevées, à unifier le divers de l’intuition sous des concepts de l’entendement. Mais il reste alors le problème de savoir s’il n’existe pas à côté de cette connaissance conceptuelle une autre forme de connaissance : on en revient au problème de l’intuition intellectuelle. Autrement dit, peut-on admettre l’existence de l’intuition intellectuelle ? Si des philosophes comme Bergson, Platon, Aristote ou encore Descartes en défendent l’existence, on peut soutenir que c’est un processus obscur, mystérieux, que c’est un concept flou. On peut, à l’instar de Kant, en faire la critique.
Nous ne pouvons pas connaître les choses en soi, les noumènes : seule la connaissance des phénomènes est possible. La connaissance humaine, qui est finie, suppose la coopération de deux facultés : la sensibilité (réceptive) et l’entendement (actif). La sensibilité fournit la matière de la connaissance, alors que l’entendement fournit les concepts, c’est-à-dire la forme : « toute connaissance commence par l’intuition mais ne s’y réduit pas », elle doit être subsumée sous des concepts. D’où la célèbre phrase de Kant : « Les idées sans contenu sont vides, les intuitions sans concepts sont aveugles » (introduction de La Logique transcendantale), ou encore : « L’entendement ne peut rien intuitionner, les sens ne peuvent rien penser ». Il n’y a donc pas d’intuition intellectuelle, même pas par rapport au moi : on n’a pas d’intuition de soi (ce qui s’oppose à la thèse de Descartes). Il y a bien chez Kant un rôle de l’intuition intellectuelle, mais simplement heuristique : elle s’intègre à l’architechtonique de la raison de l’homme, comme succédané d’une connaissance qui ne nous est pas accessible. C’est l’entendement archétypique, qu’il faut distinguer de l’entendement ectype (qui lui n’a qu’une intuition sensible) : voir la lettre à Markus Herz du 21 février 1772. Autrement dit, l’intuition intellectuelle n’existe pas : ce n’est que l’archétype d’une pensée idéale, d’ordre divin. Puisque l’intuition intellectuelle n’existe pas, il n’y a donc de pensée que conceptuelle, donc passant par le langage. Mais n’y a-t’il pas de l’indicible, de l’ineffable, donc tout de même de la pensée qui dépasserait les limites du langage ?
L’ineffable n’est en fait rien de plus qu’une illusion. La pensée n’existe que par le concept : en dehors du concept, il n’existe pas de pensée. Il n’y a pas d’ineffable. Nous ne pouvons penser que par les concepts, du moins au travers des mots. C’est la thèse que soutient par exemple Hegel dans le §462 de L’Encyclopédie des sciences philosophiques en abrégé : « Nous n’avons conscience de nos pensées déterminées et réelles que lorsque nous leur donnons la forme objective, que nous les différencions de notre intériorité, et, par suite, nous les marquons d’une forme externe, mais une forme qui contient aussi le caractère de l’activité interne la plus haute ». Hegel soutient donc que la pensée ne peut se faire que par le mot, par l’union intime de l’interne (la subjectivité) et de l’externe (l’objectivité du mot). Par conséquent, vouloir penser en se passer des mots serait « une tentative insensée ». Autrement dit, l’ineffable n’existe pas. Croire que c’est ce qu’il y a de plus haut, la partie la plus élevée de la pensée est une croyance infondée, superficielle. Car l’ineffable n’est pas autre chose que la pensée obscure, « à l’état de fermentation, et qui ne devient claire que lorsqu’elle trouve le mot ». L’ineffable est une absence de pensée, de conceptualisation : c’est un défaut de langage. Le langage n’est donc pas un simple instrument insatisfaisant pour communiquer sa pensée : la véritable pensée ne peut que passer par les mots ou par les concepts.
On se retrouve alors avec une sorte de dichotomie. D’une parte la pensée au sens strict, c’est-à-dire conceptuelle ne peut passer que par le langage. Mais d’autre part, au sens large, n’y a-t-il pas des formes de pensée non conceptuelle ou ne passant pas par des mots : le langage n’apparaît alors que comme un instrument. Il s’agit alors pour conclure notre analyse de faire voler en éclat cette apparente dichotomie.
III- Toute pensée passe par le langage
Le langage n’est pas un simple instrument, c’est au contraire ce sans quoi il n’y a pas de pensée. La pensée n’est pas antérieure, plus large que la langage : la pensée est nécessairement de la pensée formée dans et par le langage. Dans le chapitre IV de La Phénoménologie de la perception, Merleau-Ponty défend la thèse selon laquelle la pensée et le mot se font l’un l’autre : « La parole n’est pas le « signe de la pensée », ce n’est pas une fumée annonçant le feu ». La pensée n’existe pas hors du monde, « la pensée n’est rien « d’intérieur » ». Pourquoi alors croyons-nous que les mots ne sont que l’expression matérialisée d’une pensée intérieure sans expression ? C’est le fait que nous pouvons nous rappeler silencieusement des pensées déjà constituées et exprimées, par lesquelles  nous nous donnons l’illusion d’une vie intérieure. « Mais en réalité ce silence prétendu est bruissant de paroles, cette vie intérieure est un langage intérieur ». La pensée « pure » n’est qu’un vide de la conscience : impossible de penser sans langage. Pensée et expression se constituent simultanément. Pensée et langage sont indissociables l’une de l’autre, même quand nous avons l’impression contraire (l’impression de la pensée muette, pure). Ici, Merleau-Ponty rejoint la position de Hegel. Mais cela ne résout toujours pas le problème de savoir si l’on peut abandonner la dichotomie esquissée précédemment. Le recours ici à Merleau-Ponty ne fait que renforcer, si cela était nécessaire, la thèse de la nécessité du langage pour l’exercice de la pensée au sens strict. Mais qu’en est-il si de la pensée au sens large ? Ne passe-t-elle pas également par le langage ?
Le langage est un ensemble de signes, c’est-à-dire de symboles. En ce sens, le langage ne se limite pas, bien évidemment, aux mots ou aux concepts mais recouvrent toute forme d’expression symbolique, comme par exemple l’expression artistique (peinture, sculpture, danse…). Ernst Cassirer (« le concept de forme symbolique, in Trois essais sur le symbolique) définit la forme symbolique comme « toute énergie de l’esprit par laquelle un contenu de signification spirituelle est accolé à un signe sensible concret et intrinsèquement adapté à ce signe ». C’est comme si un univers de signes et d’images qui se sont créés d’eux-mêmes s’avançaient au devant de la réalité objective des choses. Les symboles sont ainsi une médiation nécessaire entre nous et le monde. On a alors une étrange antinomie car la conscience est un flux incessant, elle s’inscrit dans le temps mais pourtant quelque chose doit être stable, doit durer pour qu’il y ait pensée et conscience. Cette stabilité est donnée par la forme symbolique qui est une libre création de l’esprit. C’est la médiation nécessaire entre l’esprit et le monde. Cette médiation peut prendre plusieurs formes. En abordant le monde d’un point de vue artistique l’homme découpe par exemple différemment le monde qu’en l’abordant d’un point de vue scientifique, ou religieux… etc. Cassirer développe notamment cette idée du découpage, de l’information du monde par la forme symbolique dans Essai sur l’homme. Les différentes formes symboliques nous font voir différents aspects de la réalité.
Mais ces formes épuisent-elles le réel, le contenu immédiat le plus profond de la conscience, de la pensée ? Ne peut-on pas tranché la barrière du concept, de la représentation esthétique, de l’image mentale, bref de tout langage pour parvenir à la réalité en soi ? « Même si l’on parvenait vraiment à écarter tout le caractère médiat de l’expression langagière et toutes les conditions que celui-ci nous impose, le royaume de l’intuition pure, l’indicible prélude de la vie ne viendraient pas d’eux-mêmes à notre rencontre, mais c’est de nouveau uniquement l’étroitesse et la touffeur de la conscience sensible qui nous enserreraient ». Derrière chaque symbole, chaque signe, qu’ils soient linguistiques, mythiques, artistiques ou intellectuels, il y a des énergies de mise en image. En supprimant les signes, on supprime ces énergies. C’est par la forme et sa médiation que l’immédiateté de la vie prend la forme de l’esprit : on ne peut penser, au sens large, que par et dans le langage. En ce sens, il ne faut pas scinder la pensée en un sens strict et un sens large : toute pensée passe par la forme symbolique (que ce soit le mot, le concept, l’image… etc.). Il n’y a par ailleurs pas d’indicible. Des choses peuvent certes ne pas être exprimables dans un langage mais pas dans tous : il peut y avoir de l’indicible dans une forme de symbolisme, mais il n’existe pas de pensée en dehors des différentes expressions symboliques.
Conclusion
Pour conclure, nous avons donc pu voir qu’il n’y a pas de pensée en dehors de son expression et pas d’expression en dehors du symbole. Le langage symbolique n’est pas un simple instrument de la pensée : c’est la pensée elle-même se faisant. Il n’y a pas d’ineffable, car la pensée est tributaire de la médiation du langage, quel que soit ce langage. Car tout langage, dont la fonction unique est le découpage de la réalité, passe par la forme symbolique. Par conséquent, on ne peut penser les choses que dans et par la multiplicité des langages.

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